mercredi 29 avril 2015

Stagiaire à Pékin - Chapitre 2 : Incompréhension

Il y a deux trois ans de cela, je me rendais à Pékin pour un stage de 6 mois au sein d'un grand groupe hôtelier. Voici le récit et les clichés de cette étrange aventure.


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Chapitre 2 : Incompréhension


La veille de mon premier jour de travail, je ne dors pas. Je m'imagine déjà humiliée par mon inaptitude. J'entends presque les rires moqueurs des dirigeants devant la petite stagiaire, envoyée par le siège, qui ne parle pas un mot de chinois. 

J'avale difficilement mon petit déjeuner et retrouve l'intimidant Monsieur S. qui me présente à ma nouvelle équipe. "Voici J. [que je surnommerai par la suite Busybusy], le directeur technique. Vous travaillerez avec lui. Vous n'êtes pas son assistante mais vous pouvez vous faire passer comme telle si vous voulez éviter de le froisser. La jeune femme ici, c'est Q. [je l'appellerai Queen]. Elle est vraiment bien cette fille, vous verrez. Elle doit avoir à peu près votre âge, elle sera votre traductrice. Et tous les hommes en combinaison grise là : l'équipe technique. Des bons à rien pour la plupart qui ne savent ni lire ni écrire, mais il y a quelques braves types. Ils vont vous montrer les locaux techniques de l'hôtel. Mais d'abord, passez à la buanderie pour qu'on vous fasse faire votre costume." 

Je suis embarquée dans tourbillon de visages et d'informations que mon cerveau tente vainement d'assimiler. La gentille Queen me prend par le bras et me conduit chez la couturière chargée de prendre les mesures pour la préparation de mon costume. Drôle de sensation lorsqu'on est stagiaire désargentée... 

D'autant plus que la couturière me scrute de haut en bas avec des yeux s'élargissants pour devenir de plus en plus ronds. Lorsqu'ils ressemblent tout à fait à deux billes noires, cette dernière ne peut plus contenir sa stupeur. De petits cris stridents rameutent ses camarades qui s'agglutinent et sont bientôt plus d'une quinzaine autour de moi. Elles piaillent, sifflent, s'esclaffent devant un tel spectacle. Elles n'ont jamais rien vu de pareil ! 
Je ne peux qu'imaginer leurs exclamations : "Regarde la taille de ses cuisses !!! Incroyable ! On peut nourrir tout l'hôtel avec un jambonneau pareil ! Ah ces européens... Ses jambes doivent faire trois fois la taille des miennes ! Quatre peut-être ! Et ses cheveux !! Vous avez vu ses cheveux clairs ?! En tout cas va falloir des kilomètres de tissus avec des tonneaux pareils !" "T'as raison Gertrude [libre traduction d'un prénom chinois quelconque] !" 

En Chine, les femmes sont petites et minces. Les hommes aussi d'ailleurs. La taille 34 est tout à fait classique. À tel point que lorsqu'on vient de France et qu'on a quelques rondeurs, on passe vite pour une extra-terrestre. S'habiller n'est pas simple lorsqu'on n'a pas les moyens de se faire fabriquer des vêtements sur mesure. C'est pourtant loin d'être impossible à Pékin, grâce à la rapidité des chinois à s'adapter à la demande. Du moins si vous aimez Hello Kitty, le rose bonbon, les brillants, et le style fifille sexy que les chinoises adoptent à absolument tout âge... Certains "marchés" ont été spécialement conçus pour les européens et présentent à peu près toutes les tailles. Les prix y sont un peu plus élevés qu'ailleurs mais tout dépend de votre couleur de peau, vos capacités linguistiques et votre aptitude à négocier. 


Oui. M est partout.

Mais peut-être devrais-je présenter un peu plus en détail ces marchés qui ressemblent à d'immenses hangars, remplis d'échoppes à l'enfilade, qui vendent toutes les mêmes babioles partout dans Pékin. Des vêtements strassés et bas de gamme, des colliers en fausses perles, des sacs en faux cuir, des copies de parfums, des copies de vernis, des copies de ceintures,  des chaussures en papier, des tissus... Le niveau sonore y est élevé. Très élevé. Tout le monde négocie sa ristourne à pleins poumons, politesse obligatoire. Bien sûr, vous pouvez aussi retrouver votre bon vieux H&M dans un centre commercial classique deux rues plus loin, mais c'est quand même moins rigolo... Et puis, croyez-moi, vous faites des heureux pour pas cher à votre retour en France.


On s'habitue vite aux petits avantages qu'offre une richesse relative au temple du bas de gamme. Après seulement un mois, je portais des faux cils à chaque soirée (10 centimes !), je m'offrais une manucure une fois par semaine (2 euros !) et je me faisais masser les pieds aussi souvent que possible (3 euros !). Moi qui n'allais absolument JAMAIS chez le coiffeur en France, je changeais de coupe tous les mois. Juste pour le plaisir de voir mon coiffeur passer des heures à contempler ma chevelure, coupant mèche par mèche comme s'il s'agissait de véritables fils d'or. J'étais devenue absolument insupportable.

Photo n'illustrant pas du tout mon propos mais qui me fait marrer

jeudi 23 avril 2015

Que dire quand on a rencontré son mec... Sur internet ?

C'est une vraie question les amis. 

J'ai finalement arrêté les bêtises et réussi à récupérer mon gentil British. Je suis amoureuse. Et pour une fois ce sentiment ne s'accompagne pas d'une folie furieuse de ma part, j'arrive à l'aimer à peu près simplement et à contrôler mon caractère de chieuse 80% du temps. Bel effort. 

La seule chose qui chagrine mon coeur de romantique, c'est quand on me pose LA fameuse question : "Vous vous êtes rencontrés comment ?". 




Moi j'aurais voulu une histoire magnifique qui arrache des "awww" et des "wouaaaww ! Trop romantique !!". Comme les parents de ma bestah C. Son père est australien, sa mère est canadienne, ils sont tous les deux venus étudier en France et se sont rencontrés dans la queue pour les passeports -ou les visas je sais plus- à l'arrivée. Sa mère est scientifique, son père est artiste, et quand C. raconte l'histoire on est tous pendus à ses lèvres. On imagine instantanément le scénario d'une comédie romantique américaine avec Beyonce en fond sonore. 

À la place, moi, quand on me pose la question, je me racle la gorge et je murmure de la façon la plus inaudible du monde : "Sur okc". "Quoi ??".  "Huum hum sur okc". "Quoi ???". "SUR OKCUPID BORDEL !". Charmant. 
Et je pense à tout ceux qui comme moi se sont rencontrés façon 2.0, avec une pensée toute particulière pour les utilisateurs de Tinder...

Alors on racontera quoi à nos enfants ? (Oula faut que je me calme)

Pour l'instant je discerne trois méthodes :

1. La méthode père Noël 

Elle demande une bonne synchronisation avec son amoureux et consiste à mentir purement et simplement ad vitam aeternam jusqu'à ce que l'histoire entre dans l'Histoire. 
"Ton père (je lâche l'affaire) et moi, on était tous les deux en vacances à Barcelone. Je faisais de la planche à voile quand une énorme tempête a éclaté. Ma voile s'est décrochée et je suis tombée à l'eau. Entre temps toute la plage s'était vidée, sauf ton père qui m'avait repérée le matin et ne m'avait pas quittée des yeux depuis. Me voyant en difficulté, il a couru jusqu'à la mer pour me sauver. Moi j'ai vu la scène au ralenti. Il m'a prise dans ses bras et m'a déposée délicatement sur le sable et le soleil est revenu. Comment ça j'ai jamais fait de planche à voile ?? Je suis championne ! Si !"

2. La méthode Hop là ! Et voilà que j't'embrouille !

Elle consiste à mentir par omission. Ou à mentir par amnésie partielle. Soit prendre le mot "rencontre" à la lettre. En gros, oublier toute la partie non physique passée à discuter derrière un écran et se concentrer sur la première date. 
"Nos regards se sont croisés  un soir dans mon bar londonien préféré, au bord du canal. Il s'est avancé vers moi en souriant et m'a demandé "Tu es Jack4Co ?" et j'ai souri en inclinant la tête. Il avait un petit air rital qui ne correspondait pas vraiment à l'image que je m'étais faite de mon futur mari (!!) mais il m'a servi un verre et on a commencé à discuter". "Jack4Co ?? C'est quoi ça ?". "Oh, rien, l'humour British sans doute...". 

3. La méthode Lady Gaga

Assume little monster !
"Alors hum c'était les tous débuts d'internet, on était les premiers utilisateurs d'un site confiden... Ouai bon ok, on s'est rencontrés sur le plus gros site de dating anglais, à l'heure où les rencontres en ligne étaient devenues "mainstream". J'avais parlé à des dizaines et des dizaines de mecs différents et puis J. m'a fait sourire. Je n'ai même pas regardé ses photos à vrai dire, il m'a tout de suite intéressée avec sa façon directe d'aborder les choses et les liens qu'il m'envoyait vers des musiques ou des articles. À notre premier rendez-vous il me serrait déjà dans ses bras comme si je lui appartenais... et j'ai adoré ça."


C'est quoi votre méthode à vous ?


mercredi 22 avril 2015

Un après-midi à Gunnersbury Park...

"Hi Darling, would you like my Metro?" 

Ça a commencé comme ça. Une femme fripée aux yeux couverts de bleu me tend son journal. Ses sourcils parsemés sont surlignés d'un trait de crayon beige. Elle cache ses cheveux rêches dans un petit béret, une pierre translucide étrange pend à son cou. 

"Vous êtes française ? Moi aussi. Enfin je l'ai été. Deux fois. À chaque fois j'étais un prêtre habillé en longue robe noire. Et vous voyez je continue à porter de longs pantalons noirs. Avant je les achetais sur le marché, vous savez, celui qui a fermé il y a quelques années. Je les payais 16 pounds. C'est rien 16 pounds pour un jean noir. Quand on a ses adresses on s'en sort... De mes vies françaises je garde une fascination pour le pays et quelques mots : "C'est twès chawmant Pawis. Comment vous appeley-vous ?". Oh c'est que je n'ai pas été seulement prêtre. J'ai aussi été la petite fille du fameux M.Gervais. Il était très ami avec la femme de Proust. Oui, oui, l'écrivain. C'est un homme charmant, absolument charmant. Bon je l'ai surpris étant jeune... Une aventure avec une domestique... Mais à cette époque c'était courant vous savez. J'ai participé au soutien du pauvre fils de la servante bafouée. Je suis comme ça, je déteste l'injustice.
Tenez pas plus tard qu'hier j'ai croisé mon voisin complètement ivre avec la tête qui gigotait. Il n'avait pas touché à l'alcool pendant des années puis il a replongé. J'ai insisté pour l'emmener à l'hôpital. Mais ici vous voyez il suffit de signer un papier pour dire qu'on veut sortir et on sort. Il était terriblement indiscipliné, il a quitté le premier hôpital et je l'ai conduit dans un second. Je les ai priés de le garder, s'il-vous-plait ! Mais on m'a dit Madame il a des droits. Je suis venue le voir tous les jours pendant deux semaines mais il complotait. Oh oui pour s'échapper. Moi je restais toute la journée à le surveiller, parfois huit heures, neuf heures à regarder sa tête gigoter. Après ça j'étais épuisée et j'avais des troubles de vision. Mais il ne m'en a été nullement reconnaissant croyez-vous ! Il était paranoïaque et pensait que j'essayais de l'enfermer. Ça attaque le cerveau l'alcool. Alors un jour j'ai abandonné, tant pis. Bon j'ai quand même lu dans les cartes son avenir et noté dans mon agenda les dates sensibles. Oui les dates où il risquerait de se faire du mal... Bon si je le vois effondré j'appellerai la police mais rien de plus ! Ah non ça, qu'il ne compte plus sur moi ! J'aimerais bien en être débarrassée à vrai dire...
J'ai déménagé 32 fois dans ma vie. J'ai habité dans 6 pays différents. Toujours seule, je me suis toujours débrouillée. Je viens de Dublin au départ. Un jour en Australie on m'a conseillée un médium qui m'a parlé de la vie scandaleuse d'une parisienne avant la guerre. Depuis j'écris un livre sur elle. C'est fatiguant tous ces cartons chez moi, c'est l'inconvénient des recherches historiques. Je suis écrivain mais un projet pareil avant de vous faire rentrer des sous ça prend des années. Et puis mon public serait principalement américain... J'en ai marre je voudrais que ça se termine. Vous trouvez pas que mon poignet est gonflé ?"
Je regarde son poignet tout enflé.
"Oui, c'est à cause de ces chaussures. J'ai glissé et hop voilà. Il faudrait peut-être que je mette un strap... Non non je ne veux pas aller à l'hôpital !!!"
Je regarde ses larges sandales plates.




Johnathan Reiner - Totem 3 - Fortuna





mercredi 25 février 2015

Conseils pour devenir le parfait dramaturge de sa propre vie.

Heyyy ! Coucou ! Tu te rappelles ? Ouai ça fait un bail ! T'as pas pris une ride pourtant. Moi ? Ho, j'ai juste un peu refait la déco. À part ça je te rassure rien n'a changé. Je me mets toujours dans des situations abracadabrantes et je suis toujours la mère Fouras de l'amour comme disait Kamel Toe. Ce serait con de s'améliorer pas vrai ! J'ai beaucoup pensé à toi, puis tu sais, la vie quoi... Aller tu m'en veux pas, je te mets à jour ? 




La vie est pleine de drames. Des drames tangibles, qui font se lever des foules entières, qui rassemblent des millions de gens, qui créent des sentiments puissants et partagés. Puis des drames personnels, tout aussi profonds, si ce n'est plus pour les personnes qui les vivent. Plus je vieillis et plus je suis convaincue que le drame fait partie intégrante de nos vies. 
Mais pour certains, étrangement, cela ne suffit pas. Ils ont la capacité extraordinaire de se créer des drames supplémentaires et totalement fictifs, qu'ils rendent peu à peu réels à force d'y croire eux-mêmes. Comme vous vous en doutez, je suis naturellement pourvue de ce don extraordinaire. Ainsi, si vous manquez un peu d'amertume, d'auto-apitoiement, de larmichettes, suivez le guide : je partage.

À la fin de mes études d'ingénieur, je n'ai pas hiberné pendant des mois comme on aurait pu le croire ici, j'ai intégré l'antre d'un démon dévorant : une agence de production artistique. J'y suis entrée à pas de loup, tétanisée à l'idée de perturber par ma gaucherie ce monde fantasmé. Les femmes sublimes, chics et cultivées de l'agence représentaient tout ce que l'ingénieure boulotte que j'étais rêvait de devenir. 
Pendant un an, j'ai travaillé comme jamais dans ma vie. J'ai donné toute mon âme et mon temps à ces projets glamours, grandioses, qui me happaient complètement. J'ai travaillé des dimanches, des soirs, des nuits pour un salaire misérable, je me suis épuisée mais j'ai aussi été follement heureuse. Je me suis sentie étrangement épanouie. J'avais le sentiment de vivre pour moi alors que, paradoxalement, je n'avais plus de temps pour moi. Ni mes amis ni ma famille. En réalité, je n'avais plus le temps de penser et ça me plaisait bien. J'apprenais mais je ne réfléchissais plus. Ou bien je réfléchissais au projet en cours, à ce que m'avait dit mon chef, à ce qu'il pensait de moi, à comment devenir un parfait petit copié-collé des nanas de l'agence. J'étais presque lobotomisée par cet univers angoissant qui me faisait pourtant tellement rêver. Je n'ai pas fermé les yeux pour autant, j'ai bien vu les dessous de l'art contemporain, sa surface lisse et brillante aussi bien que ses revers sombres et écoeurants. Mais j'ai plongé dans le travail comme dans la bouffe des années plus tôt, lorsque j'étais boulimique. Avec trop d'entrain, trop de sensibilité, trop de naïveté, trop, trop, trop. Souvent je me suis même sentie ridicule. 
Je pourrais écrire des pages sur les figures emblématiques qui dirigent l'agence et éveillent chez leurs employés des sentiments contradictoires de haine et de respect, d'admiration et de dégoût terrible. Ou bien sur mes liens fusionnels et pas toujours sains avec mon chef. Mais là n'est pas mon propos. Alors revenons aux étapes de fabrication de son propre drame parfait.

Conseil n°1 : Ne pas écouter son coeur et encore moins sa raison

Un jour j'ai parlé à mon chef de mon amour pour Londres, cette ville fantastique dans laquelle je rêvais de vivre. Et il m'a prise très au sérieux. Je n'avais aucun projet en tête évidemment, aucune piste, aucune idée, juste ma meilleure amie sur place et mon amour pour cette ville. Londres lointaine dans mon esprit est devenue très présente dans celui de mon chef. "J'aurais bien aimé que tu fasses ceci ou deviennes cela mais tu pars à Londres, il faut que tu partes". Je n'osais pas le contredire. Je ne voulais pas le décevoir. Je me suis peu à peu faite à l'idée que oui, je partais. J'allais vivre mon rêve de gosse. Mais je ne me départais pas de ce sournois sentiment de faire une bêtise, de quitter un monde dans lequel j'avais l'impression d'avoir enfin trouvé ma place pour une chimère. 

Conseil n°2 : Pratiquer l'auto-dévalorisation à haute dose

Un autre sentiment sournois m'a peu à peu traversée. Et si mon chef me poussait à partir à Londres parce qu'il ne voulait pas me garder ? Parce que j'étais trop nulle ? Parce qu'il n'y avait pas de place pour un poids lourd comme moi ? Voulait-il que je vive mon rêve ou voulait-il se débarrasser de moi ?

Conseil n°3 : Scénariser sa vie

Comme l'agence avait envahi toute ma vie et tout mon être, mon départ devait forcément être tonitruant. Déclarations d'affection, cadeaux, démonstrations, déchirements, promesses, adieux... Trop, trop, trop, reflet parfait de mon excessive expérience. Un moyen évident de s'assurer qu'aucun retour en arrière n'était possible.

Conseil n°4 : Avoir des regrets ; cultiver la nostalgie

Pendant mes vacances d'été, deux mots ne quittaient pas ma bouche : le nom de l'agence et celui de mon chef. Mon ancien chef pardon. Et je continuais à parler des projets comme si j'y étais. 
Une semaine avant mon départ, mon chef - mon ancien chef pardon - me fit savoir qu'il avait absolument besoin de moi dans son équipe et que si je le souhaitais j'étais à nouveau la bienvenue à l'agence six mois plus tard, après mon expérience londonienne. Évidemment, nouvel élan d'émotion, toutes mes perspectives bouleversées et un départ chaotique. J'arrivais à Londres les songes à Paris. J'étais paralysée. Incapable de profiter de ma nouvelle vie. J'exaspérais ma meilleure amie et colocataire par mon indécision.

Conseil n°5 : Prendre des décisions hâtives sous le coup de l'émotion

Un mois plus tard, je disais donc à mon chef - mon ancien chef pardon - de faire comme si je n'allais pas revenir. De ne pas compter sur moi et nous verrions dans cinq mois. Je ne voulais pas attendre, je devais me débarrasser de mes chaînes pour me plonger entièrement dans mon aventure londonienne. Je ne voulais pas dire oui puis non, alors j'ai dit non puis oui. À Londres, sans travail, sans réelle mobilisation, je me suis peu à peu engluée dans la déprime. J'ai repris quelques kilos puis j'ai dû rentrer en France pour une opération bénigne. À l'agence on ne m'attendait plus. Je me suis retrouvée deux mois chez mon papa pour ma convalescence. Il aurait voulu que je reste en France et que je cherche un travail sérieux. Un boulot d'ingénieur un vrai. Mais je suis repartie décidée à donner un sens à cette escapade londonienne.

Le Grand Final : Le parfait retournement de situation

Bon. Là je vous ai raconté le pire parce qu'on est dans le drame. Mais bien sûr comme dans toutes histoires il y a aussi de l'allégresse ! D'ailleurs sans allégresse ce ne serait pas un vrai faux drame. Il faut beaucoup d'allégresse pour réussir à retomber par terre bien comme il faut. Vous voyez ? L'essence du dramaturge de sa propre vie c'est le gâchis. Et quoi de plus génial que les relations amoureuses pour cela. 
Alors on y vient. À Londres j'ai osé. Je me suis inscrite sur un site de rencontres qui s'appelle okcupid. En France je ne l'aurais pas fait parce que je pensais que c'était réservé aux vieux dépressifs ou aux "plans c**". Mais à Londres j'avais besoin de m'intégrer, de discuter avec des vrais British, alors je me suis lancée. Sur okc (pour les initiés hum) on trouve beaucoup de gentils geeks et de nerds revanchards. J'ai discuté avec des montagnes d'hommes et j'en ai rencontré dix. Parmi les dix mon coeur a flanché pour un. Enfin flanché... En toute honnêteté j'ai d'abord été déçue. Son physique, sa voix ne correspondaient pas à l'image que je m'en étais faite. Mais il m'a vite fait oublier tout cela. Il m'a couverte d'attentions adorables, de petits mots, de fleurs... Et il m'a donné mes premiers... Vous savez... Bon. Il était amoureux, je trouvais tout cela bien excessif mais mon petit coeur fleur bleue s'est attaché, évidemment. Je suis une incurable romantique et bien que je déteste les grand-mères à chats j'ai tous les symptômes de la future grand-mère à chats. 
Lorsqu'on a un léger déficit de confiance en soi on a du mal à croire que quelqu'un puisse tomber amoureux de nous. Quand on a un léger déficit de confiance en soi et qu'on n'a pas de travail - donc beaucoup trop de temps - c'est l'hécatombe. 
Les pensées dépréciatives envers ma propre personne se sont multipliées. Et on ne peut pas aimer une grosse incompétente et instable. Hein tu vois chéri. Je ne suis pas assez bien. Non mais tu vois je suis névrosée, si si. Tu ne peux pas me comprendre, on est trop différents. Tu vois tu m'apprécies beaucoup mais tu ne m'aimes pas. Tu n'aimes pas ça ? Ha bah voilà j'avais raison, je suis exactement comme ça. Hein ? Peut-être que je n'ai pas tord ? J'en étais sûre ! Séparons-nous je ne peux souffrir une relation inégale sentimentalement... De toutes façons c'est toujours pareil, on croit m'aimer follement quand on ne me connait pas puis dès qu'on creuse c'est fini...

Et voilà. Là vous avez un parfait retournement de situation. Là vous pouvez vous sentir bien malheureux(se), vous avez un beau sentiment de gâchis et vous pouvez bien vous prouver à vous même que vous êtes nul(le). Enfin. On y est. Je vous redonne les points clés du retournement de situation pour que ce soit bien clair :

Situation -0 : Vous êtes seul(e).
Situation 0 : Il (elle) vous aime, vous l'aimez bien.
Situation 1 : Vous vous rappelez que ce n'est pas possible qu'on vous aime.
Situation 2 : Vous le (la) convainquez qu'en fait non, il (elle) ne vous aime pas.
Situation 3 : Il (elle) finit par vous donner raison.
Situation 4 : Vous le (la) quittez de ce fait.
Situation 5 : Vous l'aimez, il (elle) vous aime bien.
Résultat : vous vous faites bien mal au coeur et retournez à votre situation -0. Bien joué !

(Hey heureusement si c'est quelqu'un de bien vous pouvez le garder en ami !! Oh chouette !)

Conclusion :

En parfaite dramaturge de ma propre vie j'ai donc réussi -en six mois !- à décevoir mon père sur absolument tous les plans. J'ai repris x kilos, je n'ai plus de travail et pour finir je n'ai plus de mec !
Heureusement que je trouve ça quand même un peu comique...